Alicia : Prima ballerina assoluta, Eileen Hofer et Mayalen Goust

Cette BD nous fait découvrir une figure cubaine majeure, la danseuse de ballet Alicia Alonso. Nous la suivons à différentes époques et l’on comprend peu à peu l’importance qu’elle a également eue d’un point de vue politique. Avec son mari, elle fonde le ballet national peu après l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir, avec la volonté de démocratiser cet art et de le faire connaître en lui attribuant une dimension nationaliste. En parallèle, nous suivons aussi le destin d’une jeune danseuse cubaine en 2011, bien décidée à suivre les pas (de danse) de celle qu’elle admire.

« Le monde a fait de moi une danseuse. Je ferai de ces barbus des balletomanes. »

Une BD biographique intéressante, qui parle de danse mais qui permet aussi, du fait des étroites relations entre Alicia Alonso et le gouvernement castriste, de mieux appréhender la situation politique à Cuba ces dernières décennies. On perçoit toute l’ambivalence du personnage d’Alicia, qui a dû prendre parti se faire un nom. C’est néanmoins une danseuse exceptionnelle qui a continué à danser, malgré sa cécité. J’ai été captée par les illustrations, qui subliment la danse et les danseuses, toutes en légèreté. La palette des couleurs choisies est juste parfaite. Un roman graphique instructif et élégant.

Rue de Sèvres, avril 2021, 144 p.

Ma note : ★★★☆☆

Degas : La danse de la solitude, Efa et Rubio

Après avoir dressé le portrait du peintre Monet il y a 4 ans, les auteurs de cette BD s’attaquent dans celle-ci à la vie d’Edgar Degas. On y découvre un homme acariâtre, qui a essentiellement vécu durant la seconde moitié du 19e siècle. Il ne s’identifiait ni aux impressionnistes (qualifiés de « bohèmes ») ni au courant académique, dont il s’est éloigné en refusant d’exposer ses œuvres au « Salon ». Degas était un homme solitaire, qui a peint beaucoup de femmes (les petites danseuses étant les plus connues) sans jamais connaître de relation amoureuse. La BD s’attarde néanmoins sur la relation particulière qu’il entretenait avec Mary Cassatt, peintre américaine. Plus que de l’amitié, mais amour jamais concrétisé.

« Ah, monsieur Degas… Vous avez suscité tant de commentaires. Et votre mort n’y changera rien !
On parlera toujours de vos danseuses adorées, de vos blanchisseuses, de vos modistes… Mais que dire de vous ? Quelqu’un vous connaissait-il vraiment ? »

J’aime beaucoup ce genre de BD, qui me permet d’en apprendre davantage sur un personnage célèbre. Le travail de l’illustrateur, proche de la peinture, est vraiment magnifique. J’y ai découvert beaucoup d’aspects de la vie de Degas, que j’ignorais. La BD m’a permis de mieux cerner l’œuvre et la vie de son amie, Mary Cassatt, que je ne connaissais que de nom. Degas a été contemporain de nombreux autres peintres, comme Manet et Berthe Morisot par exemple, que l’on croise aussi dans l’album. La BD ne cherche pas à idéaliser l’homme, qui semblait assez détestable sur beaucoup d’aspects (propos misogynes, antisémitisme, intolérance à de nombreuses choses). C’est un excellent support pour comprendre qui était ce peintre, qui a marqué son siècle.

Le Lombard, septembre 2021, 104 p.

Ma note : ★★★☆☆

Les lions endormis, Sylvie Gaillard et Fanny Montgermont

La BD raconte la vie de Joana, fille de Daniel Balavoine, qui n’a jamais connu son père car il est mort quand elle était encore dans le ventre de sa mère. La jeune femme, marquée par l’absence de cet homme admiré de tous, goûte à la drogue pendant son adolescence. Au début, pour faire les autres, pour s’amuser, en soirée. À 18 ans, elle hérite et peut se payer sa drogue, qu’elle consomme seule chez elle. L’album expose son addiction à la drogue et son combat pour en sortir… Difficulté, tentation, fragilité et lente reconstruction. Son parcours montre à quel point le soutien des proches est essentiel pour s’en sortir.

« Tu sais, les lions, ils choisissent leur proie dans un troupeau. Avec précaution. Ils choisissent le plus vulnérable, le plus isolé ou celui qui est blessé. C’est pareil avec la drogue. Elle ne m’a pas attaquée par hasard. »

Par le biais de la BD, on perçoit que les autrices racontent l’histoire de Joana avant tout pour prévenir et pour alerter. La jeune femme, loin des paillettes, succombe à la facilité d’une première consommation, comme n’importe qui. Ce qui est montré ici, c’est le côté dévastateur de la consommation, devenue solitaire, loin des soirées. On y voit aussi que chaque avancée vers la guérison est extrêmement fragile. Le trait assez sombre et réaliste, colle assez bien au propos du texte. En fin d’ouvrage, Joana Balavoine livre son témoignage et explique aussi ce qui s’est passé après la période représentée dans la BD. Rien n’est jamais gagné. Un témoignage courageux, d’autant plus quand on a un nom de famille bien lourd à porter. 

Grand Angle, septembre 2021, 96 p.

Ma note : ★★☆☆☆

Beate et Serge Klarsfeld : Un combat contre l’oubli, Pascal Bresson et Sylvain Dorange

Connaissez-vous l’histoire de Beate et Serge Klarsfeld ? Je dois avouer que je l’ai découverte il y a peu, et que j’ai été vraiment heureuse de la lire sous la forme de cette BD, parue en 2020, qui est passionnante et met la lumière sur leurs incroyables actions. Serge, le Français, rencontre Beate, l’Allemande, dans les années 1960. Très vite, il l’embarque avec lui dans la mission de sa vie : rendre justice à son père, mort à Auschwitz, et par extension, au peuple juif décimé par les nazis. La fougue de Beate permet à certaines de leurs actions d’être très médiatisées, à commencer par la gifle qu’elle donne en 1968 au chancelier allemand Kiesinger, ancien responsable de la propagande radiophonique d’Hitler. Sur plusieurs décennies, le couple a traqué, puis fait condamner des criminels nazis, qui vivaient libres, en toute impunité.

« En ce moment, je suis préoccupée par le problème des criminels nazis condamnés en France par contumace et dont la France a renoncé à demander l’extradition… au nom de l’amitié franco-allemande.
Ceux qui ont apposé leur signature à des documents envoyant des victimes innocentes à la mort en déportation. Les plus grands « criminels de bureau », les « schreibtischmörder », ceux qui étaient à la tête de l’appareil nazi en France, doivent payer.
Il faut pour cela que leur dossier soit constitué, qu’ils sortent de l’ombre et que l’attention de l’opinion se porte sur eux, de sorte qu’ils ne filent pas hors d’Allemagne avant l’ouverture d’une instruction.
C’est important de comprendre quel a été le mécanisme policier qui a entraîné la mort de plus de 75 000 juifs de France.
(Paroles de Beate Klarsfeld lors d’une interview) »

Un roman graphique passionnant, adapté des mémoires du couple Klarsfeld, sur le combat d’une vie. Cette lutte contre l’impunité, qui s’étend sur plusieurs décennies, est ici formidablement mise en image. On y réalise que certains responsables nazis ont vécu près de 20 à 30 ans après la fin de la guerre sans être inquiétés, malgré des actes ayant entraîné la mort de milliers de personnes. Beate et Serge Klarsfeld ont osé réclamer justice, les traquer à l’étranger, s’acharner sur un temps long, tout en essuyant des menaces et des tentatives d’assassinat. La BD est épaisse, documentée, passionnante. Elle navigue entre les époques (les étapes de leur combat), les pays, leur lutte et leur vie de famille. Je vous la conseille avec beaucoup d’enthousiasme, ce sont des personnes dont le combat doit continuer à inspirer les futures générations.

La Boîte à bulles, septembre 2020, 192 p.

Ma note : ★★★★★

Anaïs Nin : Sur la mer des mensonges, Léonie Bischoff

Anaïs Nin : Sur la mer des mensonges se plonge dans la vie de la sulfureuse Anaïs Nin. Déchirée entre l’image sage qu’elle souhaite renvoyer et son désir de s’épanouir davantage dans sa sensualité, elle multiplie les expériences et les infidélités à son mari. En chaque homme, en chaque femme, elle trouve quelque chose de nouveau, de nouvelles émotions à ressentir. La figure de son père semble l’avoir marquée profondément. Elle explore son intériorité à l’aide de son journal intime, qui prend la forme de son double, une femme forte et libre.⠀

« Avec quelle facilité je me glisse d’un personnage à l’autre ! Je me sens innocente. Mes mensonges et mes costumes sont ma liberté. Si je ne me crée pas un monde pour moi-même, je mourrai étouffée par celui que d’autres définissent pour moi. Je n’ai plus peur des mensonges. »

Cet album est d’une beauté infinie ! Le dessin tourbillonne, la palette des couleurs nous éblouit, les corps dansent, les corps s’aiment. J’y ai découvert une femme à la vie intérieure extrêmement riche et qui a su s’affranchir des codes de la société. J’ai beaucoup aimé la beauté d’Anaïs Nin, la sensualité des corps cernés de motifs fleuris. C’est une BD comme vous n’en avez jamais lue, qui vous donnera envie de vous plonger dans les journaux d’Anaïs Nin, publiés dans leur version non censurée après sa mort et celle de son mari. J’ai adoré !⠀

Casterman, août 2020, 192 p.

Ma note : ★★★★☆

Phoolan Devi, Reine des bandits, Claire Fauvel

La jeune Phoolan naît en Inde, dans la caste la plus pauvre qui existe. Mariée de force à 11 ans à un homme 3 fois plus âgé, elle subit un viol dès l’enfance. Elle est ensuite kidnappée par des dacoïts, des bandits regroupant des hommes de différentes castes. Elle prendra part à ce petit groupe de manière de plus en plus affirmée et deviendra un vraie bandit en commettant un premier meurtre. Elle se mariera avec l’un d’eux, qui sera hélas assassiné par la suite. Son destin la conduira à être traînée dans la boue, violée à de nombreuses reprises… Mue par un désir de vengeance, elle deviendra la reine des bandits, à la tête d’une bande, et se fera la justicière de toutes les femmes qu’on a pu maltraiter. (Et ce n’est pas fini, car elle croupira également 10 ans en prison…)⠀

« Le code d’honneur des bandits. C’est à lui que je dois la vie. Mais je ne peux pas l’accepter totalement. Car je suis une femme. Ma révolte est différente, les démons que je dois vaincre sont plus sournois. Ce sont les hommes, toutes castes confondues. »

Exercice très difficile que celui de résumer la vie de Phoolan Devi, tant elle a été semée d’embûches, de coups durs et de drames. Il est impressionnant de découvrir la force de caractère de cette femme, la manière dont elle a choisi de lutter contre la soumission qu’on lui imposait, dans un système de castes très inégalitaire. Phoolan Devi est une vraie force de caractère. La BD lui rend un bel hommage et retrace son parcours en un peu plus de 200 pages. Le talent de Claire Fauvel est vraiment à souligner, tant dans la narration que dans ces magnifiques illustrations, alternant scènes de jour et scènes nocturnes. Une très belle découverte…⠀

Casterman, août 2018, 218 p.

Ma note : ★★★★☆

Emmett Till, Derniers jours d’une courte vie, Arnaud Floc’h

Dans l’Amérique des années 50, le jeune Emmett Till se rend chez son oncle pour y passer ses vacances. Un jour, il entre dans l’épicerie du village et il y reste une minute, tout au plus, pour acheter des confiseries. Ce sera la minute de trop. Le mari de la tenancière et l’un de ses amis, notoirement racistes, l’accusent de tous les maux. Ils ont trouvé une raison à l’horrible meurtre qu’ils lui feront subir… L’histoire, racontée par un camarade d’Emmett, qui a vieilli, nous apprend qu’un procès a eu lieu ensuite, mais que les deux meurtriers blancs ont été acquittés sans trop de difficultés…⠀

« Un procès ridicule bâclé en une heure de délibérations… Même une partie de la communauté blanche en a crevé de honte. Nous étions allés les voir sortir de la salle d’audience. Hilares… Vainqueurs… »

Cette histoire, c’est celle d’une injustice sans nom. Un crime raciste monstrueux, pourtant passé sous silence, quelques mois avant l’histoire de Rosa Parks. J’ai beaucoup aimé l’angle adopté par la BD. Elle nous informe sur ce qui se passait, dans une Amérique pas si éloignée de nous… Elle fait un pont entre le passé et le présent (et l’actualité de ces dernières années ne peut que résonner…). Les illustrations m’ont moins emballée, mais c’est très personnel. J’aime beaucoup lire des BD instructives et porteuses d’un message fort.⠀

Sarbacane, avril 2015, 80 p.

Ma note : ★★★☆☆

Divine – Vie(s) de Sarah Bernhardt, Marie Avril et Eddy Simon

Dans cet album, j’ai appris à connaître Sarah Bernardht, grande comédienne qui a marqué son siècle (ou plutôt ses siècles, car elle a connu le passage du XIXe au XXe siècle). On y comprend sa grande ascension sur le devant de la scène, à une époque marquée par la guerre et le besoin de se divertir des horreurs. On y perçoit également son exubérance et son tempérament de feu, qui l’ont fait remarquer. Impossible de la rater, impossible de l’oublier, elle osait tout.

« Je ferai toute ma vie ce que j’ai envie de faire ! »

Je ne connaissais pas grand chose sur Sarah Bernhard en commençant cette lecture, et je suis heureuse de dire que j’en sais un peu plus maintenant que je l’ai terminée ! Les illustrations sont très belles et les pages introduisant chaque chapitre, ornées de magnifiques affiches. Je pense que la BD plaira à tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette grande comédienne et sont sensibles au milieu culturel du XIXe siècle (écrivains et artistes) car un certain nombre d’entre eux croisent le chemin de cette femme.

Futuropolis, février 2020, 176 p.

Ma note : ★★★☆☆